Nicolas Engel

Idea(ls) on cybersecurity

La surveillance électronique des masses devient-elle la norme ?

A l’été 2013, les révélations d’Edward Snowden ont mis en lumière l’existence de la surveillance électronique de masse aux États-Unis. Au-delà de l’exemple américain, c’est l’ensemble des démocraties érigées en parangon de vertu face aux régimes autoritaires qui furent remises en question dans leur fondement – celui des libertés individuelles.

Cet évènement est d’autant plus symbolique qu’il eut lieu durant la présidence de Barack Obama, leader du monde libre et symbole de progressisme. Ce dernier, récompensé du Prix Nobel de la Paix 2009 pour “ses efforts investis dans le renforcement de la diplomatie internationale et de la coopération entre les peuples” a toujours refusé d’accorder le pardon à Edward Snowden malgré les appels répétés d’associations de défense des libertés notamment à la fin de son mandat.

Les œuvres littéraires telles que 1984 de George Orwell ou plus récemment V pour Vendetta ne firent que préfigurer ce phénomène concrétisée par le progrès technologique: une surveillance technologique désincarnée permettant d’orienter les foules sans susciter de révolution politique. Le gouvernement chinois l’a mis en œuvre dès 2018, comment l’illustra ce reportage Australien. Rien de surprenant pour un régime autoritaire me direz-vous ? Certes la Chine est connue pour ses errements liberticides. Il n’en demeure pas moins que surveiller les individus d’une population comptant plus d’1.393 milliard d’habitants témoigne du dépassement de la barrière technologique. C’est une performance technologique en soit malgré son objectif liberticide.

Les démocraties à l’abri de cette dérive ?

Le suffrage universel serait-il le rempart à ce genre de dérive ? Les contre-pouvoirs semblent tout du moins plus efficaces. A ce titre, la fin du programme de surveillance des téléphones portables par la NSA déclaré illégal par la cour suprême des États-Unis en 2020 apparaît à première vue comme une victoire pour Snowden. Mais si on y regarde de plus près, l’ambition de collecter l’ensemble des données issues des téléphones portables généraient un tel volume de données que leurs exploitations étaient contre-productive de l’aveu même de la NSA. La fin du programme de surveillance consacre plus l’échec de sa mise en œuvre qu’un retour du respect du cadre légal.

Cette tendance n’est plus seulement politique mais a infiltré l’ensemble de la société jusque dans la sphère privée. Les outils conditionnent les usages et les entreprises privées ne se montrent pas plus vertueuses.

Dès 2010, Mark Zuckerberg le PDG de Facebook (maison mère des applications Instagram et Whatsapp) avait reconnu que les réseaux sociaux avait fait évoluer la “norme sociale” quant au respect de la vie privée. Un documentaire particulièrement éloquent, The Great Hack disponible sur Netflix atteste à quel point les données personnelles sont agrégées et rendues intelligibles afin de pouvoir être exploitées plus facilement.

L’entreprise Cambridge Analytica a concrétisé la capacité de manipulation des individus en exposant des contenus fallacieux à une minorité pour faire basculer une opinion publique indécise dans un sens préétablis. Les élections américaines de 2016 constituent à ce titre un évènement marquant dans l’histoire politique. Ce fut la première fois qu’une entreprise privée fit basculer un processus démocratique, établissant la prévalence du profit économique au dépend de l’intérêt public.

Ce cycle aboutit le 24 Juillet 2019 à la condamnation de Facebook à payer 5 milliards de dollars par le gouvernement américain en raison du scandale Cambridge Analytica. Ce montant considéré comme un record pour une amende est toutefois à remettre en perspective :

Les marchés auraient-ils sacrifiés les libertés individuelles sur l’hôtel du profit ? Non, ils furent brutalement pragmatiques.

Les modèles économiques basés sur la publicité à l’image de Google ou de Facebook sont connus de tous. Pour augmenter leurs profits, ces entreprises dressent des profils individuels visant à maximiser la rentabilité des publicités affichées. Dans un monde où la productivité est érigée à un art, la logique est implacable. Plus les annonces correspondent aux goûts et aspirations des individus, plus les ventes ont de chance d’être concrétisées.

Si une plateforme est gratuite alors c’est que vous en êtes le produit.

C’est bien là toute l’ambiguïté d’un moteur de recherche comme Google ou du réseau social Facebook. Permettant une démocratisation de l’information et de la connaissance que le mythe de la tour de Babel avait préfiguré, ces plateformes conjuguent une mission d’intérêt général avec des objectifs économiques privés. Une dangereuse cohabitation en résulte. Il est aussi facile d’accéder à des données statistiques fournies par l’OCDE que de consulter un site aux accents complotistes. Leurs valeurs respectives sont-elles pour autant comparables ?

Demander aux individus de vérifier les sources des contenus visionnés relève de l’utopie. Nos sociétés priment l’instantanéité des informations et leurs nouveautés. Cela engendre une infobésité — littéralement un excédent d’informations disponibles – qui leur fait perdre de la valeur à mesure que leurs récences ou accessibilités diminuent. Dans ce contexte, l’effort perçu par le citoyen pour vérifier l’exactitude de ses informations apparaît décourageant.

Au delà de la capacité à vérifier ses sources, accéder à une information de qualité tout comme la protéger d’une exploitation commerciale nécessite une barrière à l’entrée matérialisée par une solution payante. Ainsi est-il plus facile d’accéder à des prises de position tranchées sur une pandémie mondiale plutôt que de consulter les analyses scientifiques dont la démarche laisse place au doute raisonné. Dans ce contexte, pourquoi paierait-on plusieurs centaines de dollars par an pour s’assurer un service disponible “gratuitement” ?

Cette question est d’autant plus prégnante que les outils conditionnent les usages. La messagerie Gmail est devenu le corollaire du service Postal pour beaucoup. Changer de fournisseur et d’habitude dans une société harcelant ses individus de nouveautés nécessite un effort dont beaucoup ne perçoivent pas l’intérêt. Et même lorsque les citoyens informés comprennent l’importance de maîtriser leurs données, il demeure la barrière technologique. Migrer un historique de conversation mails, de contacts, de documents n’est pas facilement réalisable. Bien souvent, ce changement entraîne des régressions dans les usages voir même des pertes de contenu. Nombreux sont ceux qui préfèrent alors limiter volontairement leurs usages numériques pour ne pas voir leurs données exploitées.

Devant ces plateformes favorisant la digitalisation et l’intrication de nos informations personnelles ainsi que la masse de données disponibles nous concernant, la surveillance électronique a perdu de son caractère immoral.

Le citoyen en respect des lois a tendance à penser que s’il n’a rien à cacher, il n’y a pas d’intérêt à protéger ses données personnelles. Le risque lui apparaît finalement acceptable. Or pour citer Edward Snowden:

“Affirmer que vous vous moquez du droit à la vie privée parce que vous n’avez rien à cacher revient à dire que vous n’en avez rien à faire de la liberté d’expression parce que vous n’avez rien à dire.”

Edward Snowden

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