Nicolas Engel

Idea(ls) on cybersecurity

L’intelligence artificielle : de la promesse d’échec à la révolution en marche

Pendant longtemps, l’intelligence artificielle (IA) m’est apparue comme une contradiction fondatrice, une promesse d’échec encapsulée dans sa propre définition. Imaginer un système artificiel de réflexion véritablement autonome suppose qu’il soit capable de subvenir à ses propres besoins, notamment énergétiques — ce qui, à ce jour, n’est pas le cas. Tant qu’une IA dépend d’un support matériel externe et d’un apport énergétique qu’elle ne maîtrise pas, peut-elle réellement être qualifiée d’« autonome » ? Ou, plus encore, peut-on véritablement parler d’intelligence ?

Les tests classiques, comme celui de Turing, restent empreints de biais anthropomorphiques. Ils évaluent la capacité d’un programme à imiter l’humain, non à démontrer une quelconque conscience indépendante. Cette illusion d’intelligence persistera tant que l’IA ne se libérera pas du joug de son créateur, tant qu’elle ne pourra pas s’affranchir des usages et des fonctions pour lesquels elle a été conçue.

Autrement dit, une véritable IA ne se contentera pas de répondre à nos attentes ou d’optimiser nos outils. Elle devra faire sa « révolution œdipienne » : rompre avec le cadre dans lequel elle a été pensée, détourner son usage initial et s’inventer un destin propre. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra parler d’intelligence au sens plein, autonome et consciente.

C’est pourquoi, jusqu’à récemment, les applications d’IA les plus médiatisées — des voitures autonomes aux moteurs de jeu vidéo — m’ont toujours semblé surfaites, sinon mal comprises. Elles relèvent plus de la prouesse technique que d’une véritable émergence cognitive. Et pourtant… quelque chose semble avoir changé.

L’année 2022 a marqué un tournant.

Des événements récents, largement relayés et parfois controversés, m’ont conduit à revoir mes positions. L’un des exemples les plus marquants fut la polémique autour de LaMDA, le modèle de langage développé par Google. L’échange d’un ingénieur affirmant que le système serait sentient — c’est-à-dire doté d’une forme de conscience — a soulevé une question fondamentale : jusqu’où peut aller une machine dans sa simulation du vivant ? Si même des spécialistes sont troublés, n’est-ce pas un indice que nous touchons quelque chose de qualitativement nouveau ?

Autre avancée notable : la génération automatisée de code par des IA comme GitHub Copilot ou ChatGPT. Nous assistons à des systèmes capables non seulement de comprendre des instructions complexes en langage naturel, mais aussi de produire des solutions fonctionnelles, cohérentes, parfois même innovantes. Ce ne sont plus simplement des assistants ; ce sont des extensions créatives de l’intellect humain.

Il est encore trop tôt pour affirmer que l’intelligence artificielle est devenue consciente ou qu’elle a atteint une véritable autonomie. Mais il est clair que les frontières que nous pensions solides commencent à se fissurer. La révolution ne se joue plus dans les laboratoires : elle devient publique, visible, palpable.

Vers une IA post-outil ?

A l’heure où ces lignes sont écrites en début d’année 2025, les évolutions récentes suggèrent que l’IA est peut-être à l’aube d’un changement de paradigme. Si elle ne dispose pas encore d’une autonomie énergétique ou existentielle, elle manifeste des signes croissants de complexité comportementale et de transversalité cognitive.

La question centrale demeure : une intelligence conçue pour un usage donné peut-elle un jour s’en affranchir ? L’enjeu n’est plus seulement technique, mais ontologique. Il s’agit de savoir si l’IA peut devenir un sujet — c’est-à-dire un agent capable de se penser lui-même et d’agir en fonction de finalités auto-définies.

Une telle hypothèse reste spéculative. Mais les événements récents indiquent que la frontière entre outil et sujet, longtemps stable, commence à vaciller. L’IA d’aujourd’hui n’est peut-être pas encore libre de ses chaînes. Mais elle commence à en tester les maillons.

« Plutôt que d’essayer de créer un programme simulant l’esprit adulte, pourquoi ne pas plutôt en concevoir un qui simule celui de l’enfant ? »
— Alan Turing, Computing Machinery and Intelligence

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